Réveillez-vous, Europe : Il est temps de soutenir notre secteur technologique
Depuis des années, les entreprises technologiques américaines prospèrent à l’international grâce à leur « avantage concurrentiel ». Cet avantage concurrentiel dans le commerce international désigne la capacité d’un pays à produire des biens et des services plus efficacement ou à moindre coût que ses concurrents en se spécialisant dans des secteurs spécifiques (plutôt qu’en restant dans la moyenne dans de nombreux secteurs). La spécialisation d’un pays peut reposer sur son expertise et sa réputation acquises au fil des décennies (horlogerie suisse, produits de luxe français, automobile allemande, mode italienne), la disponibilité de ressources naturelles (mines, gaz, pétrole, etc.) et le niveau d’éducation et de compétences de sa population. Cette spécialisation stimule non seulement la productivité, mais aussi la croissance économique mondiale et est déflationniste.
Les droits de douane annoncés par les États-Unis ces derniers jours ciblent les biens plutôt que les services, alors même que ces derniers, notamment technologiques, représentent une part importante des économies des pays développés. C’est tout à fait le cas des États-Unis. En effet, selon l’U.S. Census Bureau, en 2023 les États-Unis affichaient un déficit commercial d’environ 139 milliards de dollars pour les biens avec l’UE et de 63 milliards de dollars avec la Suisse, mais affichaient un déficit commercial de 31 milliards de dollars avec l’UE pour les services et un excédent de 7 milliards de dollars avec la Suisse. Ces statistiques reflètent la complexité des relations commerciales et soulignent l’importance des services, notamment technologiques, dans le commerce international.
Au cours de la dernière décennie, les entreprises technologiques américaines – emmenées par les « 7 Magnifiques » : Apple, Amazon, Google, Microsoft, Facebook, Tesla et Nvidia – ont dominé le paysage technologique international. Les entreprises européennes de matériel informatique et de logiciels peinent souvent à les concurrencer, car les entreprises américaines ont acquis un avantage significatif en termes de capacités et d’échelle. De plus, dans le monde des affaires, « on ne se fait pas licencier pour avoir acheté IBM ».
La guerre commerciale naissante représente un risque sérieux pour l’Europe : nous sommes trop dépendants de la technologie américaine et ne pouvons plus compter sur les États-Unis comme partenaire fiable. Que l’UE adopte ou non des mesures ciblant les entreprises technologiques américaines (une possibilité envisagée avant même que le président Trump n’annonce ses droits de douane la semaine dernière), l’Europe doit reconnaître le potentiel de son propre secteur technologique et s’y rallier. C’est essentiel pour stimuler la productivité, la croissance économique et l’autosuffisance.
Les pays européens disposent d’un potentiel technologique considérable. Nous sommes réputés pour notre qualité et notre précision (la Suisse plus que tout autre pays !), notre créativité, notre design, notre ingénierie, nos compétences linguistiques et notre ouverture à l’international. Cependant, jusqu’à présent, nos gouvernements n’ont pas suffisamment œuvré pour créer un environnement propice à la réussite des start-up technologiques. En réalité, l’environnement des affaires dans de nombreux pays freine davantage les start-ups que les favorise. Celles-ci ont besoin d’un accès au capital-risque, de lois sur la faillite permettant aux entrepreneurs d’innover et de prendre des risques, de régimes fiscaux soutenant les entreprises dans leurs premières années, d’investissements dans les domaines des STIM (science, technologie, ingénierie, mathématiques) et dans les capacités de R&D des universités, et d’un cadre réglementaire encourageant l’expérimentation et la croissance. Aujourd’hui, l’Europe ne dispose d’aucun écosystème comparable à celui de la Silicon Valley.
De plus, les entreprises et les consommateurs européens doivent privilégier l’achat de solutions technologiques nationales et européennes lorsqu’elles existent et se comparent avantageusement aux solutions américaines. Par exemple, nous pouvons déjà opter pour un CRM, une banque numérique, un ERP, un SIRH, un logiciel de facturation ou une plateforme de trading européens. Le marché regorge d’excellentes technologies européennes et, à mesure qu’elles gagnent en clientèle et deviennent plus rentables, elles pourront investir davantage dans l’innovation produit. Elles développent également des solutions conçues pour les clients européens, par exemple multilingues et conformes à nos exigences réglementaires.
Il est naturel de ressentir de l’anxiété, voire du pessimisme, lorsque le système commercial international est bouleversé, que les marchés s’effondrent et que tout le monde parle de récession. Pourtant, c’est une formidable opportunité pour les pays européens. Il est temps que l’Europe, encore endormie, se réveille.